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Prologue
1 : Déménagements
2 : Origines
3 : Vacances en famille
4 : La vie d'étudiant
5 : Premiers grands voyages
6 : La vie professionnelle  ⇦
7 : Voyages personnels
8 : On fait les comptes
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Chapitre 6 : La vie professionnelle
Nous sommes donc revenus en France fin mars 1983, après cette année dans l'hémisphère Sud. Dans un premier temps nous avons posé nos valises à Monteynard. Il faisait encore bien froid, et quand après quelques jours un couple d'amis nous a proposé de loger avec eux à Grenoble nous avons vite accepté. Pierre et leur petite fille s'entendaient bien. Un copain m'avait conseillé une agence d'intérim pour trouver du travail. J'ai donc rapidement commencé comme mécanicien-ajusteur chez Neyrpic, au sud de la ville, où je me rendais avec un très vieux vélo qui avait appartenu à mon père. J'avais toujours des contacts avec le Laboratoire de Glaciologie, et encore quelque espoir d'y obtenir un poste. J'ai donc alterné pendant quelques mois les petits emplois de vacataire au laboratoire et les travaux techniques dans plusieurs entreprises de l'agglomération. J'ai ensaché des produits, j'ai été monteur, mécanicien d'entretien, cariste ou encore ouvrier de structure chimique, souvent en travail posté. En fin d'année j'ai passé le permis de conduire, ce qui était pratique pour me rendre au travail les nuits pluvieuses à Pont-de-Claix ou à Champagnier. Comme nos amis nous avaient laissé la totalité de l'appartement, Françoise s'est lancée dans son métier de psychologue clinicienne. Notre fils Pierre a débuté l'école dans le quartier de l'Île Verte à Grenoble.
Au laboratoire il y avait un projet d'étude avec les Chantiers de l'Atlantique à Saint-Nazaire. Ce chantier naval avait dans ses cartons l'idée d'un méthanier brise-glace pour aller chercher du gaz naturel dans les îles du Grand-Nord canadien. Il fallait donc réaliser une étude bibliographique des propriétés mécaniques de la glace de mer. Une partie de cette étude pouvait se faire au bureau, à partir des ouvrages disponibles dans la bibliothèque du labo. Mais avant Internet la littérature sur n'importe quel sujet n'était pas accessible de partout et un voyage en Amérique du Nord avait été prévu au budget pour visiter des laboratoires et des bibliothèques. C'est ce que j'ai fait au printemps de 1984, accompagné pendant quelques jours par un ingénieur du chantier naval. Nous avons rendu visite à quelques spécialistes au Canada et dans l'Est des États-Unis. Je suis aussi allé voir un labo à Vancouver, et comme je m'étais débrouillé pour être sur place pendant le grand week-end de Pâques j'en ai profité pour visiter la région et surtout Vancouver Island avec une voiture de location.
Après ce premier voyage en Amérique du Nord j'ai repris les missions d'intérim pendant quelque temps. En liaison très floue avec le Labo de Glaciologie il y avait une structure un peu nébuleuse qui avait étudié la grêle et venait d'obtenir un contrat avec EDF pour étudier le phénomène appelé neige collante. Ils cherchaient quelqu'un pour participer à cette étude et ça me convenait bien. Il s'agissait d'observations de terrain et de modélisation simple. Des partenaires japonais d'EDF avaient le même intérêt dans l'étude de la neige collante et avaient construit un modèle expérimental dans une petite ville qui s'appelle Ishiuchi. J'y ai passé trois semaines en 1985, pour mes trente ans. C'est d'ailleurs là que j'ai pratiqué pour la dernière fois le ski de piste, après une interruption de douze ans. Le Japon a donc été mon premier contact avec l'Asie. Pour l'anecdote, en 1985 les avions d'Air France ne passaient pas au-dessus de l'URSS et le voyage vers le Japon se faisait vers l'ouest, avec une escale à Anchorage. D'ailleurs en 2024 il y a toujours des zones évitées, et c'est ainsi que pour aller de Paris à Séoul on évite l'Ukraine, la Russie, la Syrie et l'Iran en passant au-dessus du Caucase. C'est aussi en 1985 que nous avons déménagé, toujours à Grenoble, dans un appartement dont nous serions propriétaires après beaucoup d'années de paiement. Pierre a changé d'école et s'est vite fait beaucoup de copains. Comme sa scolarité s'est déroulée sans heurt, je n'ai pas beaucoup eu l'occasion de rencontrer ses professeurs. Je suis resté quelque temps salarié dans cette petite structure, et plus tard une véritable entreprise, société anonyme, a été constituée pour continuer ces études climatiques, avec EDF comme client principal. J'avais un contrat à durée indéterminée, un CDI comme on dit. En 1986 il y avait un symposium sur l'interaction entre la glace, sous toutes ses formes, et les structures. Ça se passait à Vancouver. Normalement le directeur de la société devait y présenter nos études. Malheureusement il y a eu un décès dans sa famille et je m'y suis rendu à sa place, pour ma deuxième visite dans cette belle région. La conférence comportait même une visite en hélicoptère au-dessus des montagnes. Nous avions aussi noué des contacts avec des chercheurs québecois et quelques temps plus tard je suis allé à Chicoutimi pour un séjour d'environ deux semaines. Bien sûr j'ai un peu voyagé dans la région du Saguenay et du Fleuve Saint-Laurent. Pour diverses raisons de combines administratives il y a eu une parenthèse pendant laquelle j'ai été officiellement employé pendant quelques semaines par une autre société, à Crolles, mais c'était toujours pour le même travail, surtout de la cartographie d'aléa climatique. Je suis partiellement à l'origine de l'utilisation rationnelle de ces contrepoids qu'on voit sur les câbles de certaines lignes électriques en montagne.
Je m'étais un peu essayé au parapente, très modestement, en suivant deux fois une initiation d'une semaine, en Matheysine. Un souvenir particulier est un vol sur le Châtel (que les huguenots du Trièves appellent le Bonnet de Calvin) : nous avions volé en compagnie d'aigles royaux qui sont présents sur cette montagne. Je n'ai jamais fait de vol en duo. J'avais envisagé de m'équiper en matériel, mais outre le prix plusieurs éléments m'en ont dissuadé, comme la crainte de ne plus rien faire d'autre et aussi de contrarier les loisirs avec Françoise et notre fils Pierre.
En 1990 nous commencions à avoir un peu d'aisance financière. Mon court passage en Nouvelle-Zélande sur le chemin de l'Antarctique m'avait donné une forte envie de visiter ce pays. Alors nous sommes partis tous les trois vers les antipodes. Pierre qui n'avait pas encore dix ans a raté quelques jours de classe, avec la bénédiction de son professeur d'école. Nos billets d'avion prévoyaient une escale d'un jour complet à Bali, ce qui a fait un premier contact avec l'Asie pour Françoise et Pierre. En sortant de l'aéroport à Auckland nous avons facilement trouvé un loueur de camping-car et nous avons visité les deux îles principales. C'était notre premier grand voyage en famille après le séjour en Australie. Pierre était assez grand pour en conserver des souvenirs, en particulier de la faune observée, les manchots, les otaries, les wekas et les albatros.
Quelques années plus tard, en août 1993, nous sommes allés au Brésil afin d'accueillir Alex dans notre famille. Nous sommes restés quatre semaines, principalement à Saõ Carlos, petite ville dans l'État de Saõ Paulo. Notre contact local nous avait prêté sa Volkswagen Brasilia, qui était déjà une voiture vintage. Il avait aussi arrangé quelques jours dans la petite station balnéaire de Caraguatatuba, et à cette occasion nous avons loué une Volkswagen Gol qui fonctionnait à l'alcool. Comme Alex avait à peine onze ans, Pierre conservait son droit moral d'aînesse et tout allait bien ou presque. C'était notre premier voyage en Amérique du Sud.
C'est aussi cette année-là que j'ai voulu changer d'emploi. Un instrument de géophysique, le radar de subsurface, commençait à faire partie des appareils utilisés en géotechnique. J'avais eu l'occasion de m'initier à ce procédé non-destructif d'imagerie du sous-sol. Une petite société spécialisée dans la géotechnique souhaitait s'équiper de cet appareil, plutôt coûteux. J'ai commencé à travailler avec eux et je suis allé apprendre à utiliser l'appareil chez le fabricant, au New Hampshire, sur la Côte Est des États-Unis au tout début de 1994. Là-bas j'ai assisté à une de ces impressionnantes tempêtes de neige qui frappent parfois la Nouvelle-Angleterre. C'était ma deuxième visite aux USA, dix ans après l'étude bibliographique de 1984, mais je n'avais toujours pas vu grand chose de cet immense pays.
J'ai travaillé quelques années dans cette société, essentiellement dans la moitié sud de la France. Dans ce contexte géotechnique je pratiquais aussi le contrôle de pieux et les essais de pénétration, ce qui faisait bien ricaner mon entourage. Nous avons eu quelques difficultés et j'ai repris ma liberté à la faveur d'une restructuration. Mes indemnités de chômage, surtout liées à mon emploi précédent, étaient confortables. Ayant repris contact avec la société d'intérim pour laquelle j'avais travaillé auparavant, j'ai alterné pendant quelque temps les périodes de travail temporaire et de chômage. J'ai aussi fait un peu de travail au noir, je peux le dire maintenant car il y a prescription. C'était avec une société de logistique qui travaillait essentiellement dans le domaine des équipements pour laboratoires pharmaceutiques. On m'avait chargé tout spécialement de liquider les « loups », ces retards de livraison au client final dus à des délais ou erreurs de livraison du fabricant. J'ai parfois livré moi-même quelques flacons spéciaux à un grand laboratoire ou institut de biologie situé près de Lyon. C'était plutôt intéressant, pourtant ce n'était pas une vocation et après quelques mois j'ai repris les emplois techniques.
C'est aussi vers cette époque que des potes d'une petite société de géophysique m'ont proposé une étude d'impact. Il s'agissait de contredire, presque point par point, une étude d'impact favorable à l'extension d'une carrière du côté de Vaison-la-Romaine. Cette contre-étude était commandée par les vignerons du coin. J'espère avoir contribué à limiter les nuisances. En tout cas j'ai bien aimé ce travail d'environ deux mois, même si ça ne m'a pas emmené plus loin que Vaison-la-Romaine.
Toujours vers la fin des années 90 j'ai eu un emploi dans une société qui fabriquait des machines spéciales, sur ce qu'on appelait la ZIRST de Meylan et qui est plus tard devenue Innovallée, ça sonne mieux. C'était un atelier où on réalisait des machines uniques destinées à tester des organes pour l'automobile, comme des pompes à essence ou des alternateurs, ou encore des disjoncteurs électriques. Il y avait donc beaucoup de montages de châssis, de vérins pneumatiques, de petits moteurs… Bref, le rêve d'un bricoleur. De plus le chef d'atelier nous laissait faire un peu de perruque avec le tour ou la fraiseuse. J'ai été salarié directement par cette société pendant un an. Un jour j'ai été envoyé du côté de Rouen pour régler une machine qui contrôlait des appareils électriques. Le client, très satisfait, a même envoyé un fax élogieux sur ma prestation, ce qui est plutôt sympa. C'est le seul déplacement que j'ai fait en liaison avec ce boulot.
Ces années-là je participais souvent aux petites courses à pied organisées dans l'Isère, toujours à mon niveau très modeste. Alex faisait les courses dans sa catégorie d'âge, avec beaucoup plus de succès. Il était inscrit au GUC, club d'athlétisme de Grenoble, et tenait bien sa place dans les interclubs et championnats départementaux. Ma seule course à l'étranger a été le Marathon de Turin. Je préférais les petits marathons sans prétention où nous étions beaucoup moins nombreux.
L'année 1999 a sa doute été déterminante pour ma vie professionnelle. Il se trouve que j'ai oublié de me rendre à un rendez-vous dans une agence d'intérim. Que se serait-il passé si je n'avais pas oublié cet entretien ? C'est un autre point de départ pour une uchronie, mais personne ne va raconter cette histoire parallèle. Quelques jours plus tard mon agence habituelle m'a proposé une mission importante. À Sassenage la Division des Techniques Avancées de la société Air Liquide cherchait en urgence un technicien pour aller démarrer une de ses installations en Belgique. Il faut croire que j'ai fait illusion pendant la prise de contact à Sassenage, ou alors ils étaient vraiment désespérés. Bref, après une semaine à essayer de comprendre comment lire un schéma électrique et à potasser les documents, je me suis rendu en Belgique wallonne où on m'attendait avec impatience. En réalité le client n'était pas tout à fait prêt, heureusement pour moi. J'ai donc eu tout le temps de faire mon boulot en compagnie de Giuseppe, le technicien du client. Lui, il a bien dû se rendre compte de mon ignorance profonde du métier, mais tout s'est bien passé. J'ai appris beaucoup de choses sur les capteurs et l'instrumentation, et aussi un peu sur la cryogénie, tout ce qui allait devenir le cœur de mon activité principale. J'ai bien sûr visité la Belgique pendant les quelques semaines de ce chantier. Beau petit pays très accueillant.
Puisque le démarrage de cette installation en Belgique s'était bien passé, que le client était content, on a souhaité me garder à Sassenage. Comme j'étais toujours en intérim j'ai officiellement et successivement remplacé beaucoup de monde pour rester en règle avec les conventions du travail temporaire. En réalité j'ai alterné le travail sur la zone d'essais du site et les missions de démarrage d'installations. Un démarrage peut durer une semaine pour une machine très simple, hors complication, et jusqu'à plusieurs mois pour une installation plus complexe, voire plusieurs années pour des gros chantiers qui dépendent fortement de l'avancement de l'infrastructure du côté du client (et aussi de la quantité de documents réglementaires qui sont exigés). Si je ne me trompe pas, cette année 1999, outre des petits chantiers en France j'avais fait une petite maintenance en République Tchèque, une mission à Catania en Sicile et une mission à Singapour. Depuis Singapour j'avais pu me permettre quelques virées en Malaisie, et j'étais allé jusqu'à Malacca.
Ensuite comme on avait besoin de moi sur le long terme, on m'a proposé une embauche en CDI, que j'ai acceptée, et au premier janvier 2000 j'ai été salarié de ce grand groupe. J'y suis resté jusqu'à la retraite, et même un peu au-delà comme consultant. Ce n'est qu'à partir de 2003 que j'ai tenu une feuille de calcul mémorisant tous mes déplacements professionnels, donc je situe mal l'ordre des voyages précédant cette date, et j'oublie sans doute plusieurs chantiers qui ne m'ont pas marqué. Je me souviens quand même qu'en janvier 2000, juste après mon embauche, j'ai eu une mission en République Tchèque. Sur mon chantier enneigé il faisait ‑16 °C. Les ouvriers locaux avaient leur fiole d'antigel à usage interne dans la caisse à outils, et ils tenaient à la partager. Malgré la neige sur les routes j'avais fait une petite excursion en Slovaquie. En décembre de cette même année j'avais un petit chantier à Singapour. Là-bas on prenait peu de congés, mais en 2000 il y avait une sorte d'alignement des planètes : la fin du Ramadan, une fête hindoue et Noël arrivaient en même temps. Singapour a été mise au ralenti pendant plusieurs jours et nous avons eu quatre jours complets de congés. J'en ai profité pour aller jusqu'au Parc National de Taman Negara en Malaisie, en train, bus, taxi et bateau, pour une visite beaucoup trop courte. Un des taxis était une très vieille Mercedes, avec encore le compteur en miles qui, traduit en kilomètres, avait largement dépassé le million, soit vingt-cinq fois le tour de la Terre.
Ces missions à l'étranger apportaient un complément de salaire, et en général je faisais un peu de gras sur les frais de mission forfaitaires. Avec les revenus professionnels de Françoise nous avions retrouvé un peu d'aisance financière. Nos enfants Pierre et Alex devenaient de jeunes adultes autonomes, et au printemps 2001 Françoise et moi sommes partis en voyage au Cap-Vert, notre première escapade hors d'Europe ensemble depuis longtemps. Les années suivantes ont apporté beaucoup de voyages professionnels, et aussi quelques voyages de loisirs, seul ou avec Françoise. Ainsi en 2002 nous sommes allés tous les deux en Nouvelle-Zélande, douze ans après notre première visite à trois. Je parlerai plus loin de ces voyages de loisirs.
Mon temps de travail était de 210 ou 211 jours dans l'année. Faites le calcul, ça fait 10 semaines de non-travail. J'avais donc pas mal de congés, avec la souplesse de pouvoir les cumuler d'une année sur l'autre. J'ai donc commencé à prendre des vacances de plusieurs semaines, et pourquoi pas vers des destinations encore peu fréquentées. De plus je pouvais profiter de billets d'avion à prix réduit avec tous les vols accumulés sur plusieurs compagnies aériennes. Mais j'en parlerai plus loin.
Je ne vais pas citer ici l'intégralité de mes voyages professionnels, je vais seulement parler succinctement de ceux qui m'ont laissé des souvenirs. À partir de 2003, comme je le disais plus haut, je sais très exactement où j'étais professionnellement, grâce à une feuille de calcul que j'ai bien tenue à jour. Pour les voyages personnels significatifs j'ai souvent préparé une petite page web et je pourrais aussi retrouver la date d'après les photos numériques. Cependant, au lieu de faire une liste chronologique je vais plutôt les classer par grande région du monde, en y mêlant quelques voyages non-professionnels.
Commençons par le moins exotique, c'est à dire l'Europe. Avant les années 2000, plus précisément avant 1999, j'avais peu voyagé sur notre continent. À partir de ces années-là j'ai travaillé sur pas mal de chantiers, que ce soit pour des installations nouvelles, des maintenances régulières ou pour des interventions d'urgence. Je suis resté longtemps au CERN, pendant plusieurs années j'ai fait des maintenances régulières à Berlin et dans la vallée de l'Elbe, il y a eu d'autres chantiers en Allemagne, des missions en Grande-Bretagne, en Suisse, aux Pays-Bas, en Belgique, en Slovénie… et une courte intervention en Suède en décembre 2023. En Italie j'ai passé beaucoup de temps sur plusieurs chantiers, ma connaissance de la langue étant sans doute un argument pour ces prestations. J'ai eu plusieurs missions en Sicile, et comme j'ai lu beaucoup de livres d'Andrea Camilleri j'ai appris quelques mots et expressions du dialecte sicilien (è una camurrìa !). Je parle raisonnablement l'Italien, mais heureusement je ne le parle pas assez bien pour risquer de passer pour un Milanais, comme on appelle en Sicile les gens de l'Italie du Nord. Comme j'étais en quelque sorte allé en éclaireur j'ai pu retourner avec Françoise et servir de guide dans plusieurs régions italiennes. Nous sommes aussi allés dans des régions de la péninsule que je ne connaissais pas du tout, et partout nous avons apprécié la gastronomie locale.
Je n'ai jamais travaillé en Espagne. En revanche mon employeur m'avait accordé en 2007 quelques jours d'initiation à la langue espagnole, du côté de Madrid. C'était avant la folie des dossiers partagés et des réunions sans intérêt, quand les sociétés avaient encore un peu de bon sens, et surtout des ressources à utiliser à bon escient.
Ensuite parlons un peu de l'Amérique du Nord. J'ai déjà évoqué les voyages des années 80 et 90 au Canada et aux États-Unis. Avec ce nouveau métier de cryogéniste il y a eu de nouvelles occasions de voyages professionnels. Le premier de ces voyages en Amérique du Nord pendant l'ère cryogénique a été à Detroit, au mois de mai 2004. L'industrie automobile US qui avait longtemps été le soutient de la ville avait déjà beaucoup souffert, et Detroit ressemblait à une ville sinistrée. Cette même année, à la fin de l'été 2004 avec Françoise nous avons traversé le Canada, des Provinces Maritimes jusqu'au Pacifique, et j'en parlerai plus loin.
En 2013 j'ai passé quelque temps à Vancouver, ma quatrième visite dans cette belle ville du Pacifique. Avec mes collègues je suis allé à Victoria, sur l'île de Vancouver, où j'étais déjà allé en 1984.
Ensuite il y a eu deux missions, chacune d'une quinzaine de jours, au Texas, pas loin du Golfe du Mexique. C'est un territoire avec des zones humides où on voit facilement des alligators, des tortues aquatiques et beaucoup d'oiseaux. Le siège régional de la société est à Houston, et en cas de panne de l'installation on appelle le siège en disant « Allo Houston, nous avons eu un problème ». J'ai visité Galveston et je suis allé jusqu'à Baton Rouge en Louisiane. Les bayous et le passage sur le fleuve Mississippi ont été les grands moments de ce voyage, mais la nourriture cajun est également mémorable. Les Texans sont fidèles à leur réputation. Ils allaient tous au travail dans un énorme véhicule tout-terrain. Je vais placer une petite anecdote, quand même. Sur la machine des Siciliens le mot de passe était « Bellini », comme le compositeur de Norma et de La Somnambule ; pour les Texans le mot de passe était « Reagan ». On voit la différence culturelle.
Ma plus longue mission aux États-Unis d'Amérique a commencé après mon départ à la retraite, quand j'ai été employé comme consultant pour des projets de cryogénie. En réalité avec ce titre ronflant je faisais toujours le même travail de démarrage et maintenance d'installations. Ce chantier était à Stanford, en Californie, sur le site de l'accélérateur de particules appelé SLAC et le responsable de la Cryogénie était mon ancien collègue Éric. La mission s'est faite en plusieurs fois, au total je suis resté cinq mois sur ce chantier. Je logeais à Palo Alto, au centre de la Vallée du Silicium, et pour le dernier séjour j'avais trouvé une chambre à East Palo Alto, un quartier beaucoup moins bobo. Je n'ai jamais eu d'attirance particulière pour les États-Unis, mais le nord de la Californie est une région très intéressante. Il y a San Francisco, bien sûr, mais aussi les paysages de la côte entre l'Oregon et Big Sur, les phoques, les otaries, les éléphants de mer et les baleines. Mon neveu Laurent habitait avec sa famille à Santa Cruz, et ils m'ont invité plusieurs fois. La Sierra Nevada n'est pas loin, avec Yosemite National Park, les séquoias géants, le Lac Mono… Vers la fin de mon séjour je suis allé jusqu'à la Vallée de la Mort.
Passons à l'Asie. C'est le continent où je suis allé le plus pour raisons professionnelles, et aussi où je suis allé le moins pour des voyages personnels, en dehors de l'Antarctique, bien sûr, où je ne suis jamais allé en touriste. J'ai déjà parlé de la mission au Japon en 1985, lorsque j'étudiais la neige collante. Avec le métier de cryogéniste les occasions ont été nombreuses. Il y a d'abord eu les deux petits chantiers à Singapour, évoquées précédemment, avec les escapades en Malaisie. En 2019 j'ai eu deux nouvelles missions dans le sud de la Malaisie, et j'en ai profité pour visiter de nouveau Malacca et surtout pour passer quelques jours sur Pulau Tioman, une île avec beaucoup de varans.
J'ai passé plus de temps dans d'autres pays. Le premier où je suis resté longtemps est le Qatar, en 2004-2005. Il s'agissait d'un gros chantier pour lequel j'ai surveillé une partie du montage, avant de participer à la mise en service. Contrairement à mes chantiers habituels où j'étais seul ou avec au maximum un collègue, cette fois nous étions nombreux sur le site, avec une petite dizaine de Français, quelques superviseurs étrangers et beaucoup de travailleurs d'Asie du Sud, surtout des Indiens. Je dois dire que les prescriptions de sécurité sur le chantier étaient extrêmes, il n'était pas question de prendre la moindre liberté avec les règles de protection des personnes comme on le faisait parfois en Europe, sans parler des nombreuses régions où de telles normes n'existent pas. Ces règles de sécurités sont basées sur ce qui se fait aux USA, donc similaires à celles qui existent en Europe, mais elles sont renforcées pour faire face à des ouvriers qui pour certains sont peu qualifiés. Je me souviens de la formation de sécurité de base pour les nouveaux arrivants. On nous apprenait qu'il ne faut pas dormir sous un véhicule, ni boire l'eau des flaques qui se forment après un orage. Cette main d'œuvre ne coûte pas cher et le pays est riche. C'est pourquoi un massif en béton qui doit seulement supporter une machine sera gratté, poncé, mastiqué, apprêté avec un enduit, poncé de nouveau et peint avec plusieurs couches d'une peinture de qualité supérieure. Pareil pour la rampe d'escalier qui est ainsi parfaitement lisse, et cependant il y a obligation de la tenir avec des gants pour ne pas prendre le risque de se blesser. Il arrive quand même qu'on choisisse de faire un travail tout seul plutôt que de le confier à une équipe de quinze Indiens, ça va plus vite, surtout s'il faut monter une pièce de quinze kilos au deuxième étage, parce que sinon il faut que le chef d'équipe coordonne les baliseurs de zone, les élingueurs, les assistants élingueurs, le conducteur de la grue, l'assistant du conducteur, les surveillants de zone et l'officier de sécurité.
Pour la plupart des occidentaux détachés au Qatar il n'y avait rien à faire dans le pays, hormis passer son temps dans les bars des quelques hôtels qui servaient de la bière, ou à la rigueur traîner dans le centre commercial. Heureusement dans notre groupe il y avait Marc. Comme moi il tenait à découvrir les merveilles que cachait ce pays. Presque tous les vendredis nous sommes allés quelque part avec notre chauffeur Yousaf, un Indien du Kerala qui travaillait au Qatar depuis plusieurs années. Avec les ressources disponibles, c'est à dire les journaux, les souvenirs de quelques vieux Qataris et aussi des articles sur Internet, nous avons pu trouver chaque semaine quelque chose d'intéressant à visiter. Le Qatar n'est certainement pas le plus beau pays du monde par ses paysages, ni par sa faune ou ses monuments historiques. Cependant le secret du bonheur n'est-il pas d'aimer ce dont on dispose ? Nous avons ainsi vu des formations géologiques singulières, une zone de mangrove, un trou karstique profond, des palais en ruines, de très vieilles mosquées abandonnées ou encore des zones agricoles. Yousaf qui parlait hindi, arabe et anglais, en plus du malayalam sa langue maternelle, a été précieux pour obtenir des renseignements auprès des locaux, bédouins ou ouvriers immigrés. Un jour Yousaf parlait en hindi avec des ouvriers agricoles qui lui ont suggéré de discuter avec le régisseur, et celui-ci nous a proposé de rencontrer le patron, un riche propriétaire, un cheikh, comme on dit. Le cheikh nous a proposé de visiter son musée personnel, sous la guidance de son majordome. Le musée aurait fait pâlir d'envie les conservateurs de bien des villes de province.
Pour cette mission je suis resté un an au Qatar, avec quelques retours en France. J'ai aussi pris quelques jours de vacances à Oman, où j'ai voyagé en bus en en voiture de location. Très beau pays, où je suis retourné quelques années plus tard avec Françoise.
En 2013 j'ai eu une nouvelle mission au Qatar, juste pour quelques semaines. Hélas cette fois il n'y avait pas Marc, et personne n'était intéressé par des excursions hors de Doha. De plus les authentiques vieux quartiers avaient été rasés pour faire place à un horrible faux-ancien censé attirer les touristes. Cette frénésie destructrice est, hélas, bien regrettable.
Je suis resté longtemps en Corée du Sud. En général on dit simplement la Corée, sans préciser laquelle. On précise seulement quand il s'agit de leur voisin du Nord où il est plus exceptionnel de se rendre. D'ailleurs ce cas de Corée nous turlupine. J'ai calculé que je suis resté au total un an et demi en Corée, entre 2006 et 2024. Je ne m'étais pas intéressé auparavant à ce pays, et la surprise a donc été encore plus agréable. Le pays est montagneux, et les lieux facilement habitables sont rares. Il en résulte que les zones non habitées sont nombreuses et propices à la promenade. Mon premier chantier au Pays du Matin Frais était en bord de mer, au sud-est de la péninsule. Je résidais dans un très bel hôtel sur la rive du Lac Bomun, près de Gyeongju. C'est une ville chargée d'histoire, avec des vestiges de sa splendeur ancienne. Une des collines où j'allais souvent le dimanche est parsemée de monuments sacrés et de roches sculptées. Cet hôtel luxueux attirait une clientèle internationale. J'affectionne la cuisine coréenne, même si souvent j'aurais aimé que la couleur rouge des plats provienne de la tomate plutôt que du piment. Le buffet du soir comme celui du petit-déjeuner était somptueux, et je suis resté assez longtemps pour goûter à presque tout. Je voyais parfois des étrangers qui ne touchaient pas à autre chose que du riz et des nuggets de poulet, et je trouvais ça bien triste. Les Français sont loin d'être les plus réticents devant une gastronomie exotique.
Dans ce grand hôtel il y avait six soirs par semaine un couple de musiciens-chanteurs. J'ai assisté aux représentations de plusieurs de ces couples, qui restaient sur place pendant quelques semaines. Il venaient tous de Bulgarie, il doit y avoir dans ce pays une filière pour ces duos d'artistes. Leur répertoire très consensuel était largement basé sur la Variété Internationale, avec parfois une touche de Country. Après quelques temps, on se saluait d'un hochement de tête quand on se croisait dans l'hôtel (a nodding acquaintance, comme disent les anglophones). J'ai discuté un peu avec un seul de ces duos de Bulgares, qui avait plutôt bon goût. Quand ils ont su que j'étais français ils m'ont dit « Alors nous allons chanter quelques chose pour toi ». Ils ont aussitôt attaqué « Voyage, voyage », chanson célèbre de la chanteuse Desireless. Cette circonstance m'a plus tard suggéré un titre pour rassembler ces souvenirs personnels. J'ai préféré utiliser le pluriel.
Toujours en Corée j'ai passé quelque temps à Daejeon, la ville de la Science. C'est pendant cette mission à Daejeon, au début de l'année 2008, que notre fils Alex nous a quittés. Depuis, il ne s'est pas passé un jour sans que je pense à lui. Quand je suis parti au petit matin pour rentrer à Grenoble mes trois collègues m'ont accompagné à la gare routière de Daejeon, et une dizaine de jours plus tard quand je suis retourné en Corée ils étaient là pour m'accueillir. Ce sont des gestes d'amitié qui nous marquent.
Il y eu d'autres voyages en Corée au fil des années, plusieurs fois à Pohang, à Ulsan, et de nouveau à Daejeon. J'avais assez vite appris à lire le Coréen, ou plutôt à déchiffrer très lentement l'écriture, mais sans connaître la signification des mots. Je n'ai jamais appris à le parler, me contentant de savoir quelques mots signifiant bonjour ou merci, et aussi quelques noms de plats de la cuisine coréenne.
Il y a eu plusieurs chantiers en Chine, plus d'un an et demi en temps cumulé, entre 2007 et 2019. Je n'étais pas attiré par ce pays, mais je n'ai pas refusé ces missions, il y a des dictatures bien pires. C'était en général des chantiers dans des laboratoires ou des industries à la périphérie de villes chinoises de quelques millions d'habitants, essentiellement dans l'est de la Chine : plusieurs chantiers du côté de Beijing et de Shangaï, mais aussi à Wuhu et à Hefei. Les Chinois ne se comportent pas comme nous. En Occident on n'emmerde pas les autres, et en échange on ne supporte pas d'être emmerdé. Pour les Chinois c'est le contraire, il acceptent volontiers d'être emmerdés, pourvu qu'on les laisse emmerder les autres. Comme les Qatariens, ils aiment le faux-vieux, c'est à dire les reconstructions de quartiers ou de monuments anciens : les tronçons de la Grande Muraille qui attirent les visiteurs ont été complètement reconstruits il y a peu de temps et les quartiers authentiques des régions habitées par les minorités ethniques ont souvent été détruits pour être remplacés par du toc tape-à-l’œil.
Mon chantier le plus long a été du côté de Beijing en 2008. J'y suis resté presque six mois, pour mettre en service une machine qui fait de l'hydrogène liquide pour les fusées chinoises. J'ai eu le temps de raconter quelques anecdotes sur une page web, pour m'occuper le soir. Comme il y a eu un arrêt de dix jours sur le chantier, l'envie m'est venue de visiter les provinces de l'Ouest et pour ça j'ai fait appel à une guide que j'avais rencontrée avec des collègues français du côté de la Cité Interdite. Sans son assistance j'aurais eu beaucoup de mal pour voyager, ne serait-ce que pour prendre un billet de train ou un taxi local. Nous avons visité la région de Dunuhang dans la province du Gansu, et ensuite la ville de Turpan et ses environs dans la province du Xinjiang. Les paysages sont grandioses, et ce n'est pas la Chine des grands villes de l'Est. D'ailleurs les gens sont culturellement et ethniquement différents. À Turpan des vieux me saluaient en me disant « Salam Aleikum » et bien sûr je savais quoi répondre. Au Xinjiang nous avons poussé jusqu'à Urumqi, la grande ville Ouïghoure qui se voyait comme la grande métropole de l'Asie Centrale et qui a vu ses ambitions anéanties par le pouvoir chinois. C'était la fin du Ramadan, et ma guide ne savait presque rien des pratiques musulmanes. Je regrette un peu de n'avoir pas eu le temps d'aller jusqu'à Kashgar pour voir cette ville avant sa transformation ou plutôt sa destruction par les Chinois.
À l'occasion d'une autre mission en Chine j'ai aussi eu un peu de temps libre et je suis allé visiter la province de Mongolie Intérieure, avec la même guide. Région intéressante également, avec des paysages différents. À Manzhouli près de la frontière les commerçants parlent aussi le russe. Je n'avais jamais vu une ville chinoise aussi propre.
Il y a aussi eu une mission de plusieurs mois à Shanghai. J'ai un peu visité la région. Mes collègues chinois m'avaient emmené voir Hangzhou et le Lac de l'Ouest. Je vais quand dire quelque chose de bien sur la Chine. Dans les parcs publics on voyait de vieux chinois, équipés d'un seau d'eau et d'un long pinceau, qui s'adonnaient à la calligraphie sur les dalles en ciment. Le soleil avait tôt fait d'évaporer leurs œuvres : beauté de l'éphémère. Voilà pour la Chine.
J'ai aussi travaillé à Hong Kong, d'abord une semaine en 2011, puis pendant six semaines en 2012, à l'université HKUST. Hong Kong était déjà rétrocédée à la Chine, mais gardait encore son autonomie, la Chine attendant encore quelques années avant de violer les résolutions sur ce territoire. Les occidentaux comme moi n'avaient pas besoin d'un visa pour se rendre à Hong Kong, alors que les Chinois en avaient besoin. Ce n'était pas encore la Chine, donc, d'ailleurs la civilisation British était bien présente. Les gens faisaient sagement la queue en une longue file indienne pour monter dans l'autobus à impériale. En Chine, combien de fois ai-je éjecté de la queue quelqu'un qui cherchait à passer devant moi ? Souvent, et en général avec une certaine violence et un plaisir certain. Hong Kong n'est pas que la ville de gratte-ciels, la City, souvent représentée sur les cartes postales ou les journaux. Sur l'île principale il y a des grands espaces presque naturels. Il y a aussi plusieurs petites îles dans le territoire, certaines presque désertes, mais desservies en fin de semaine par un petit bateau. Il y a aussi des îles peuplées, pour la plupart sans voitures et avec quelques restaurants pour bien compléter la promenade. Sur Peng Chau il y même un bistro français qui s'appelle « Les copains d'abord » et qui présente une grande peinture murale avec les vieilles gloires de la chanson française. Un dimanche je suis allé à Macao, à la riche architecture coloniale portugaise. La traversée entre Hong Kong et Macao dure moins de deux heures. J'étais plus intéressé par la vieille ville que par les casinos.
C'est à la fin de ce séjour à Hong Kong que j'ai pris une semaine de vacances pour aller aux Philippines. Il y avait beaucoup de Philippins et de Philippines au Qatar et encore plus à Hong Kong, surtout du personnel de maison. J'avais connu quelques Philippins sur mon chantier du Qatar, en général à des postes qualifiés. Le samedi à Hong Kong les employées de maison, c'est à dire les bonnes, se réunissent dans les coursives ventées ou dans les parcs pour pique-niquer entre copines. Dans cet immense archipel des Philippines je suis allé sur trois îles. Cebu m'a surtout servi comme point d'arrivée et de départ en avion, depuis et vers Manille. Je suis allé en bateau d'abord sur Bohol où j'ai vu dans une zone protégée des tarsiers des philippines, minuscules primates aux yeux immenses. Ensuite Je suis allé sur l'île de Negros. J'ai joint un petit groupe de touristes pour une sortie en bateau autour d'une petite île où le spectacle sous-marin avec seulement un masque et un tuba est fantastique. Le récif est extrêmement riche. J'ai vu des tortues, beaucoup d'invertébrés marins, dont des comatules (elles avancent, elles reculent…). J'ai aussi pris un sérieux coup de soleil sur le bateau.
C'était ma seule mission à Hong Kong, en deux temps. Par la suite je suis retourné plusieurs fois passer une nuit à Hong Kong où à Macao pour renouveler un visa chinois : il fallait sortir du pays tous les trente jours, et Hong Kong ou Macao étaient considérés comme une sortie de Chine. Comme le trajet entre les deux territoires prend moins de deux heures, je visitais parfois les deux pendant un weekend.
Parlons un peu de l'Inde. Cet immense pays a toujours fasciné les occidentaux. Certains sont des adorateurs inconditionnels, d'autres détestent. Ma réaction est mitigée. C'est en 2004 que j'ai fait mon premier voyage en Inde, pendant une dizaine de jours, pour la maintenance d'une machine située dans la banlieue de Kolkata. Je me suis rendu compte que le système des castes est toujours bien présent.
Je suis retourné au même endroit deux fois en 2010, avec un peu plus de temps libre, et encore une fois en 2011. C'est ainsi qu'au printemps 2010 j'ai rendu visite à Yousaf, mon chauffeur du Qatar, qui profitait de son congé annuel en famille au Kerala. Yousaf était très fier de ma visite. Il m'a promené sur la moto familiale, une Royal Enfield Bullet. J'ai mis toute ma confiance en ses talents routiers.
Les Anglais ont laissé à l'Inde une Administration. Les Indiens se sont empressés de la complexifier, et leurs frères ennemis du Pakistan puis du Bangladesh ont fait pareil. Il existe pour les étrangers un nombre invraisemblable de types de visa. J'avais cette fois-là un visa d'un mois, renouvelable à condition de sortir du pays. Le plus simple aurait été de prendre un vol vers un pays qui ne me demande pas de visa obtenu à l'avance, mais j'avais choisi de me rendre au Bangladesh en bus. Après trois visites au Consulat du Bangladesh à Kolkata j'ai eu mon visa, et j'ai fait le long et intéressant voyage vers Dakha, où j'ai seulement passé une nuit avant de faire le voyage de retour.
Je dois dire que j'ai vite du mal à supporter le bruit des centres urbains indiens. Quand j'allais en ville à Kolkata il m'arrivait de faire une longue pause dans le vieux cimetière anglais, lieu de silence et de sérénité. C'est un peu triste à dire, mais en Inde je préférais les quartiers touristiques, calmes, aux quartiers autochtones, toujours très bruyants. Que dire des Indiens ? J'ai souvent eu l'impression qu'ils ne sont pas câblés comme nous dans la tête. Ils peuvent faire une fixation sur un truc qui n'est ni prioritaire ni bloquant, alors que nous préférons faire avancer le projet, sachant qu'on pourra traiter ce truc plus tard. La main d'œuvre peu qualifiée a un coût négligeable, donc les petits assistants à tout faire sont nombreux. Parfois pleins de bonne volonté, mais mal dirigés et surtout mal considérés par ceux qui ont le sentiment d'être supérieur. Un jour j'avais étalé un assez grand nombre de feuilles de papier pour avoir sous les yeux tous les documents qui me servaient pour mon travail. Un de ces pauvres diables, pour se rendre utile et pensant que je devais avoir chaud, avait pendant ce temps-là installé un puissant ventilateur et l'a mis en service, pour me rafraîchir, moi et mes feuilles de papier, qui sont devenues des feilles volantes. Attention, en Inde les ventilateurs n'ont pas la protection pour les doigts que nous connaissons chez nous. Un soudeur anglais qualifié qui travaillait avec moi a ainsi été blessé sérieusement alors qu'il étirait ses bras. Au laboratoire des ouvriers avaient fait une sorte de rambarde, par ailleurs très irrégulière et mal soudée. Pour la peindre on avait donné à un de ces petits assistants un pot de peinture et un morceau de chiffon, pas de pinceau, sans doute trop cher. Je pourrais raconter beaucoup d'anecdotes de ce genre.
Ensuite à l'automne 2010 j'ai de nouveau pris deux semaines de congés en Inde pendant un arrêt de mon chantier. Cette fois je suis allé vers le nord, à Darjeeling, et ensuite au Népal, en bus et en train. Darjeeling est proche du Kangchenjunga, point culminant de l'Inde et troisième sommet de la planète. Les paysages avec les plantations de thé sont pittoresques. À quelques kilomètres de Darjeeling on peut voir l'Everest et les Annapurnas. Au Népal j'ai surtout visité les basses terres, en particulier le Parc National de Chitawan avec ses rhinocéros et ses crocodiles. Mon hôtelier m'avait emmené à la gare routière de Pokhara, sur sa moto. Quand nous avons traversé la ville ça m'a fait penser à cette image d'un album de Tintin, dans « l'Affaire Tournesol », quand un automobiliste italien très pressé traverse un petite ville un jour de marché.
J'ai déjà parlé un peu du Japon, où j'étais allé en 1985. Avec la cryogénie j'y suis retourné plusieurs fois, en plusieurs sites, entre 2003 et 2016. Le grandes villes gardent quelques spécificités nationales, mais elles ont aujourd'hui beaucoup de similitudes avec les autres grandes villes du monde. C'est pourquoi j'aime bien les chantiers situés dans les plus petites villes. Par exemple au Japon il y a eu un chantier à Nagoya et un autre à Kobe, deux très grandes villes. Ma dernière mission au Japon a été en 2016 sur un gros projet à Naka, pas loin de la mer, et je résidais à Mito, près d'un joli lac. Cependant mon meilleur souvenir est un chantier en montagne près de Nikkō. C'est une ville touristique, mais en hiver elle ressemblait davantage à un village. Près du chantier on pouvait voir des singes, les macaques japonais qui supportent bien la neige.
Au Japon je ne suis allé que sur la grande île principale, Honshu, jamais sur les autres grandes îles de l'archipel. Quand j'étais à Kobe j'ai quand même fait deux excursions sur des petites îles de la baie au large de Himeji.
Je crois que je me suis toujours bien entendu avec mes contacts locaux, même s'il est difficile de savoir ce que les Japonais pensent de nous.
Je vais mettre la Turquie dans ce groupe des pays d'Asie. En effet mon unique chantier turc était un peu au sud d'Ankara, et pendant mes visites du pays je suis toujours resté à l'est du Bosphore, donc toujours en Asie. Je suis allé sur ce chantier en 2016, 2017 et aussi 2023, donc plutôt récemment. Les premières fois avec un collègue j'ai un peu visité Ankara, et aussi la Cappadoce. Nous sommes aussi allés à Sinop sur la Mer Noire, la ville de Diogène, le type au tonneau avec la lanterne, qui se disait cynique parce qu'il était bien copain avec les chiens. J'ai aussi visité un site archéologique phrygien.
En 2023 je suis donc retourné sur le même chantier et cette fois j'ai eu un peu de temps libre pour voyager dans le pays. Comme il s'agit d'une mission récente mes souvenirs sont encore frais, surtout que je ne crois pas souffrir de cette maladie qui fait oublier le passé immédiat alors qu'on se souvient de choses très anciennes. J'ai eu quelques jours de congés et j'ai fait un assez grand périple vers la Mer Noire puis vers le Caucase, au ras de l'Arménie et de la Géorgie, au pied du Mont Ararat. J'ai une bonne vue, mais depuis la plaine je n'ai pas réussi à apercevoir les débris de l'Arche de Noé. Je me suis baigné dans le Lac de Van, un lac très alcalin à 1640 mètres d'altitude. En superficie ce lac est six fois plus grand que le Léman, ou trois mille fois plus grand que le Lac de Laffrey. Pour ceux qui sont familiers avec cette notion, l'eau est à pH10, on n'a pas besoin de savon. Sur le chemin du retour entre le Caucase et Ankara je suis passé par Diyarbakır, la grande ville à majorité kurde. Cette même année en Turquie je me suis aussi baigné dans la Mer Noire et dans la Méditerranée, et j'ai encore fait quelques visites de sites archéologiques, depuis les Hittites jusqu'aux Chrétiens du Moyen-Âge.
J'ai aussi un peu travaillé en Asie Centrale, précisément à Baïkonour, là où les Soviétiques puis les Russes ont lancé des fusées depuis les années 50. La zone de Baïkonour se trouve au Kazakhstan, mais est actuellement louée et essentiellement administrée par la Russie. En 2011 nous avions construit à l'intention d'une société russe une machine destinée à faire le plein de xénon dans les réservoirs de satellites. Un équipe russe était venue quelque temps à Sassenage pour voir le matériel en phase de test. Il y avait le grand chef, deux ingénieurs, et un traducteur anglais-russe, Anatoli, qui parlait aussi d'autres langues, mais pas le français. Pendant leur visite le grand chef a choppé une angine et un dimanche matin le traducteur m'a appelé pour essayer de le soulager de ses souffrances, avec du bicarbonate de soude ou autre chose. J'ai appelé mon copain Jacques, le médecin des sportifs, qui a accepté de nous recevoir chez lui. Donc examen médical pour confirmer l'angine, café offert et ordonnance pour des médicaments, le tout gratuitement. Jacques m'a dit que c'était la deuxième fois qu'il examinait une personne venant de Russie, mais que la fois précédente c'était une championne de triathlon.
Ensuite la machine a été envoyée sur le cosmodrome de Baïkonour et j'ai été chargé de la tester sur place. Je suis d'abord allé quelques jours à Moscou, que Anatoli m'a fait visiter (« ♫ Il avait un joli nom mon guide… ♪♪ » comme chantait Gilbert Bécaud).
Puis nous avons rejoint Baïkonour, une ville un peu artificielle qui n'est probablement pas caractéristique du Kazakhstan. Dans les rues les jeunes femmes kazakhes et russes rivalisent d'élégance. Nous étions dans un hôtel en ville et tous les jours nous allions en autobus sur le cosmodrome. J'ai aussi fait de longues marches dans la steppe, probablement en dehors du périmètre autorisé sans un visa pour le Kazakhstan. On y voit des hybrides de chameaux et de dromadaires. Un jour nous sommes tous allés nous baigner dans la Syr-Daria, une rivière qui alimente la Mer d'Aral. Quelques-uns se sont essayés à la pêche et ont réussi à attraper des poissons.
J'avais acheté une bouteille d'Armagnac pour partager avec mes Russes et je l'avais offerte quand nous nous mettions à table un soir au restaurant. Comme ils voulaient la boire immédiatement j'insistais pour qu'on la boive dans les règles, c'est à dire après le café, alors que nous en étions au potage. Les Russes se sont consultés un instant, puis par l'intermédiaire d'Anatoli ils m'ont dit : « On va commander un café tout de suite ». C'est ce qu'ils ont fait.
Le travail s'est bien passé, le séjour aussi. J'ai eu la chance de voir des lancements de fusées Soyouz, et après un nouveau passage par Moscou je suis revenu en France.
Passons de nouveau à l'Extrême-Orient avec Taïwan. Je n'ai eu qu'une seule mission, d'ailleurs plutôt courte, dans ce pays. C'était en 2009, l'année où j'ai en fait très peu travaillé, histoire de rattraper beaucoup de congés en retard. Je ne connaissais pratiquement rien à ce pays, j'avais même une idée extrêmement vague de sa géographie. Je travaillais à Hsinchu, ville de science et d'industrie, avec aussi quelques beaux monuments anciens. L'amabilité des Taïwanais surprend agréablement quand on est d'abord allé en Chine. Le centre et l'est de Taïwan montrent des paysages grandioses, avec une soixantaine de pics qui dépassent 3000 mètres. À la fin de la mission j'ai passé quelques jours à Hualien, dans le sud-est du pays. Il y a des falaises vertigineuses qui plongent dans la mer et aussi la Gorge de Taroko. J'avais pris le bus qui mène à l'amont de la gorge pour la descendre à pied, pas loin de quarante kilomètres avec tous les détours dans la végétation luxuriante.
J'ai profité d'une sortie obligatoire de Chine pour retourner quelques jours à Taïwan en 2018. De nouveau j'ai parcouru la Gorge de Taroko et je me suis baigné dans la Mer des Philippines.
Enfin pour être exhaustif dans ces missions en Asie il reste l'Arabie Saoudite, où j'ai fait deux courts séjours en 2010 et en 2019, avant une longue mission en 2021-2022. C'était à chaque fois près de Jubail, dans la région industrielle qui s'étend le long du Golfe Arabo-Persique. Comme dans les pays voisins il y a de rares locaux bien qualifiés et une importante main d'œuvre immigrée, surtout originaire de l'Inde, du Pakistan et des Philippines. Il y a aussi les gens comme moi, venus apporter une compétence supplémentaire pour quelques semaines ou quelques mois. On nous avait logés au Hilton, et au petit-déjeuner nous étions tous en tenue de travail, certains avec déjà le casque de chantier sur la tête.
Je n'ai pas vu grand chose de cet immense pays. J'ai quand même fait quelques grandes promenades à pied, mais le désert autour des villes a des allures de dépotoir. À quelques kilomètres au sud il y a, entourée à distance d'une clôture, la ruine d'une très ancienne église assyrienne. Curieusement elle n'avait pas été détruite par les zélotes religieux.
Passons à l'Océanie. J'ai déjà évoqué le passage en Nouvelle-Zélande à l'occasion de ma première mission en Antarctique. J'ai parlé aussi du séjour en famille à Melbourne à la fin de mes études, en 1982-1983. Je ne suis pas retourné en Australie jusqu'en 2014. Cette année-là je suis allé deux fois, pour une quinzaine de jours, du côté de Sydney. Il s'agissait de valider quelques améliorations faites sur une machine ancienne, en particulier le passage à un système de contrôle plus moderne. La première fois on m'avait logé à Cronulla, une banlieue chic de Sydney avec une belle plage, où j'ai bien profité des promenades en bord de mer. À ma deuxième visite j'étais logé au centre de Sydney, ce qui m'a permis de visiter les attractions de la ville, les très renommés pont et opéra, et de faire trempette à Bondi Beach, la plage la plus célèbre du coin. Beau pays, qui donne envie d'y retourner. Au passage, le retard d'un avion lors de ma première visite m'a fait passer vingt-quatre heures à Dubai, ce qui m'a permis de visiter un peu la ville. C'est ma seule entrée au Émirats Arabes Unis.
Il faut enfin dire quelques mots sur l'Amérique du Sud. Je n'ai fait qu'un voyage professionnel sur ce continent, et c'était à Kourou en Guyane, donc pas vraiment à l'étranger. Je n'ai pris qu'une semaine de congés sur place pour visiter, et donc je n'ai pas vu grand chose de cet immense territoire. Il est difficile de voir des animaux spectaculaires sans un bon guide. On voit des oiseaux, quelques singes habitués aux touristes, et avec un peu de chance quelques gros insectes et des petits reptiles. J'ai visité les ruines du bagne sur les Îles du Salut et j'ai fait une excursion touristique sur la Rivière de Kaw. Malheureusement les formalités pour aller au Suriname sont rebutantes, et je n'ai aperçu ce pays que depuis Saint-Laurent-du-Maroni, du côté guyanais du fleuve Maroni.
On se rend compte après cet inventaire que je ne suis jamais allé professionnellement en Afrique, ce qui est un de mes regrets. Pourtant l'Afrique est bonne hôtesse (et ses canicules vous emballent ?). Je ne désespère pas.

Prologue
1 : Déménagements
2 : Origines
3 : Vacances en famille
4 : La vie d'étudiant
5 : Premiers grands voyages
6 : La vie professionnelle  ⇦
7 : Voyages personnels
8 : On fait les comptes
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